Rendez-vous pour la réussite éducative : l’éducation au-delà de la pandémie
31 mars 2021
Introduction
La Fédération du personnel de l’enseignement privé (FPEP-CSQ) regroupe plus de 2 800 membres répartis au sein de 47 syndicats et œuvrant dans quelque 42 établissements, répartis dans dix régions du Québec. Forte de ces représentations, la FPEP-CSQ éprouve le besoin de témoigner de la réalité des établissements d’enseignement privés et de proposer, ici, quelques pistes de réflexion.
Bien que nous reconnaissions le caractère sans précédent de la crise sanitaire que nous vivons depuis mars 2020 et ses effets sur le système éducatif, il appert qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos de cette pandémie. En effet, elle a exacerbé les failles importantes déjà présentes du réseau de l’éducation. Il nous apparaît qu’il est plus que jamais le temps pour le Québec de procéder à une réflexion de fond quant à son système d’éducation et à la réussite éducative. Une consultation précipitée ne pourra pas résoudre réellement les problèmes systémiques, mais apposera plutôt un pansement sans arriver à guérir l’origine de la plaie.
AXE 1 : La réussite éducative et le rattrapage
Éviter l’enseignement à distance
L’enseignement à distance a été déployé très rapidement dans les établissements d’enseignement privés. Sa mise en œuvre a suscité certes une adaptation non négligeable, mais il a surtout mis en exergue ses limites. Tout d’abord, nous constatons qu’au préscolaire et qu’aux premier et second cycles du primaire, les élèves n’ont pas l’autonomie ou les aptitudes afin de gérer tous les paramètres des technologies qu’ils doivent utiliser dans ce cadre pédagogique. Leur utilisation doit nécessiter un accompagnement constant des parents qui fait en sorte qu’ils interviennent jusqu’à parfois interférer dans les apprentissages de leur enfant. Qui plus est, l’imposition de certaines écoles d’asseoir ces enfants devant un écran pendant 5 heures est contre-productif. Par ailleurs, tous niveaux confondus, du préscolaire au secondaire, l’enseignement à distance coupe les liens relationnels inhérents à l’apprentissage, soit ceux avec les enseignants et ceux avec les pairs. La relation pédagogique tend à se dissiper à travers l’écran. Au secondaire, on remarque un fort niveau de désengagement et de motivation de la part des adolescents confrontés à cette utilisation. Le plus inquiétant à notre avis, c’est que l’enseignement à distance creuse un clivage encore plus grand entre les élèves qui fonctionnent bien à l’école et ceux qui ont plus de difficultés. Cette approche accroît de façon importante la désorganisation des élèves les plus vulnérables en plus de favoriser tout type de tricheries lors de la tenue d’évaluations ou lors de l’accomplissement de travaux à distance. En somme, pour nous, il est clair que l’enseignement à distance nuit à la réussite éducative des élèves et c’est pourquoi nous souhaitons ardemment qu’il ne soit utilisé qu’en cas de force majeure ou pour des mesures complémentaires ciblées (aide aux élèves, tutorat. etc.).
Investir dans la maîtrise du français
La maîtrise de la langue d’enseignement est primordiale et a un effet concret sur la réussite de toutes les autres matières du curriculum pédagogique. En effet, que ce soit la maîtrise du vocabulaire, la compréhension des nuances, l’habileté à comprendre des textes ou des questions d’évaluations, à saisir les éléments présents dans une tâche complexe, à articuler une idée… le français joue un rôle prépondérant dans la réussite éducative des élèves. Ainsi, une priorité devrait être investie à soutenir toutes les démarches d’aide en français afin que les élèves puissent avoir accès aux connaissances qui leur sont offertes dans tous leurs cours.
AXE 2 : L’organisation scolaire et les encadrements pédagogiques
La stabilité
Le réseau scolaire a besoin de stabilité. Il serait dommageable de revivre une autre année scolaire ponctuée de changements constants (étapes, pondération, enseignement en présence, à distance puis alterné, mesures sanitaires modifiées…) très nuisibles à l’ensemble du personnel et à la réussite éducative. Les enseignants ont besoin de pouvoir planifier leur année de façon stratégique tout comme les élèves ont besoin d’une routine afin de ne pas se désorganiser. Il est évident, pour nous, que le plan de match du ministère de l’Éducation devrait être connu avant la fin de la présente année scolaire et, par la suite, être maintenu.
Maintenir les écoles ouvertes
Le jeu de yo-yo entre l’ouverture, la fermeture et l’alternance des classes provoquent son lot de changements tant dans la planification, la pédagogie, que dans le cheminement scolaire des élèves. Par conséquent, le ministère de l’Éducation et celui de la Santé doivent tout mettre en œuvre pour que les écoles soient maintenues ouvertes tout en assurant la santé et la sécurité pour toutes et tous. À distance, l’engagement des élèves et leur motivation ont fait défaut. Ainsi, nous croyons que la vaccination prioritaire des intervenants du milieu de l’éducation nous assurerait de maintenir les écoles ouvertes pour permettre de maximiser la scolarisation en classe tout en évitant des éclosions collatérales.
Une équipe-école forte
D’entrée de jeu, nous déplorons les inégalités de services qui ont été offerts d’un établissement à l’autre pendant la crise sanitaire. L’absence de personnel en soutien aux élèves dans plusieurs écoles explique, entre autres, cette disparité. La force d’une école repose sur la complémentarité des membres qui la compose. Les ressources professionnelles ou de soutien scolaire se font rares dans les établissements d’enseignement privés. Des élèves ayant besoin d’accompagnement se retournent donc auprès d’intervenants hors de l’école. Ainsi, il n’y a aucune collaboration ou aucun échange d’informations, qui sont pourtant essentiels à l’encadrement des élèves qui présentent des défis. La pandémie a magnifié à la fois l’importance des services d’accompagnement (psychosocial, persévérance, réussite) et le manque de personnels professionnels et de soutien formés pour répondre à l’augmentation du nombre d’élèves ayant des besoins particuliers. Il est temps de mettre en place des mesures structurantes pour bonifier et pour pérenniser ces offres. Le renforcement des équipes-écoles par une plus grande présence de personnels professionnels et de personnels de soutien au sein même de nos écoles doit être une grande priorité pour la réussite éducative.
Revoir le nombre d’étapes et leur pondération
Les enseignants ont apprécié le fait de n’avoir que deux étapes à la présente année scolaire, puisqu’ils y voient des avantages pédagogiques réels. En effet, scinder l’année scolaire en deux fait en sorte qu’ils bénéficient davantage de temps pour bien établir leur relation avec leurs élèves. Ils peuvent prendre le temps de bien enseigner, de répondre aux besoins de leurs élèves et de s’assurer que les notions sont bien maîtrisées avant de recourir à l’évaluation. Dans le système qu’on connaît, composé de 3 étapes, les enseignants ont l’impression de passer trop de temps à évaluer au lieu de pouvoir réellement s’investir dans la démarche pédagogique en étant pressés par les échéanciers. La pondération (20 %, 20 % et 60 %) est aussi remise en question. Cet écart suscite un désengagement des élèves lors des premières étapes, puisque peu importantes à leurs yeux, alors que la dernière étape frappe par son importance et par l’accumulation de notions non maîtrisées. Bref, nous recommandons l’octroi d’une pondération plus équilibrée.
Allouer du temps au personnel
La tâche des personnels de l’éducation n’a fait que s’accroître, les dernières années, alors que les exigences de toutes sortes sont toujours plus nombreuses. Il semble qu’on oublie bien souvent l’essentiel : le cheminement et la réussite des élèves qui nous sont confiés. Afin d’accroître la réussite éducative, il faut du temps. Il faut que les enseignants puissent se consulter et travailler en partenariat avec leurs collègues, éducateurs, orthopédagogues, etc. L’équipe-école est importante et elle est encore plus efficiente quand on lui laisse du temps pour collaborer et pour mettre à profit ses compétences. Du temps doit être dégagé (journées pédagogiques, diminution de tâches, etc.) pour permettre ce travail de soutien aux élèves. Cela ne peut se faire par un ajout, puisque la tâche professionnelle déborde déjà. On doit impérativement reconnaître le professionnalisme du personnel dans l’exécution de son travail et de ses compétences. Le quotidien d’un orthopédagogue ne devrait pas être uniquement concentré sur la rédaction de plan d’intervention. Tout professionnel devrait pouvoir travailler avec les élèves à développer des stratégies pour évoluer. Ultimement, les enseignants devraient avoir des classes moins nombreuses afin de pouvoir s’investir davantage dans le cheminement de tous ses apprenants. On pourrait aussi envisager de dégager du temps dans leur tâche pour pouvoir soutenir non seulement les élèves qui vivent de plus grands défis (tutorat, suivi personnalisé, etc.), mais aussi leurs collègues en début de carrière. Nous croyons également que l’accès au télétravail lors de certaines journées pédagogiques et l’offre de formations mieux ciblées, au choix des personnes, permettraient de ressentir un réel gain d’efficacité. Bref, si la réussite éducative est réellement une priorité, il faut se donner des moyens pérennes pour agir concrètement à l’améliorer.
AXE 3 : Le bien-être et la santé mentale
Favoriser une bonne hygiène de vie
La crise sanitaire actuelle a fait basculer le quotidien de tout un chacun vers un grand déséquilibre. C’est aussi le cas des enfants et des adolescents. Les liens relationnels ont été limités, les sports annulés, l’accès aux arts autres que la télévision proscrit. Notre vie a complètement été chamboulée. Lors de l’enseignement à distance, les adolescents n’ont plus la même routine : ils se couchent plus tard, ils jouent de façon boulimique à des jeux vidéo, ne s’habillent plus pour aller en classe virtuelle, etc. La motivation en prend alors pour son rhume et pave la voie à une certaine paresse intellectuelle et au désengagement. Viennent aussi d’autres problèmes comme l’isolement, l’anxiété, etc. Il nous apparaît primordial que les élèves aillent à l’école puisqu’ils sont alors forcés à un quotidien plus propice à la réussite. L’école doit aussi favoriser une hygiène de vie plus saine : moins d’écrans, plus d’activité physique, l’accès à de multiples activités parascolaires, etc. On déplore, par ailleurs, que l’éducation physique et les arts aient été relégués au second plan pendant la pandémie. C’est extrêmement réducteur envers ces matières et cette mesure renie le bien-être intégral des enfants et des adolescents. L’école ne se résume pas qu’à certaines matières académiques, l’école est un milieu de vie. Il ne faut pas oublier que ces à-côtés peuvent être des moteurs importants de motivation ou de réalisations. Finalement, il ne faut pas omettre que les établissements scolaires offrent un filet social de premier ordre pour celles et ceux qui vivent des épreuves de tout type.
Les impacts des écrans
Bien que déjà très bien implantées dans les établissements d’enseignement privés, les technologies ont maintenant complètement envahi le quotidien scolaire. Plus que jamais, le personnel tout comme les élèves sont rivés à des écrans. La FPEP-CSQ s’interroge depuis longtemps sur leurs impacts sur la santé et sur le développement du cerveau. Des études récentes semblent également démontrer des liens entre l’utilisation des médias sociaux et l’augmentation de l’anxiété, la cyberdépendance et la baisse de l’estime de soi. Il nous apparaît donc essentiel qu’on investisse pour connaître réellement les effets sur nos élèves. Puisque ces différents outils numériques sont là pour rester, il est impératif que nous nous questionnions sur ce qui est réellement bon pour eux, tant sur le plan du développement que les impacts pédagogiques et psychologiques.
Élargir le concept des bulles-classe
Par la restriction de ne côtoyer que des élèves de la bulle-classe assignée, les élèves n’ont fréquenté que les mêmes collègues pendant l’année scolaire. Pour certains, cette situation a augmenté la détresse ou l’isolement vécus n’étant pas dans la même bulle que leurs amis ou étant prisonnier d’une bulle où se vit de l’intimidation, par exemple. Afin de favoriser une meilleure socialisation, nous jugeons qu’il est important d’élargir les bulles en permettant notamment, un meilleur accès aux activités parascolaires pour ainsi agir plus efficacement sur la santé mentale des élèves.
Conclusion
La pandémie actuelle a exacerbé les problématiques vécues depuis de nombreuses années en éducation. La pénurie de personnel représente un réel défi dans le contexte où les ressources sont manquantes. Il faut tenir compte de ces enjeux dans la mise en place de solutions pour améliorer le soutien et la réussite des élèves. Il nous faudra poser un regard critique sur l’enseignement à distance et baliser son utilisation, car nous sommes d’avis qu’il ne représente pas la panacée attendue.
Les ressources pédagogiques mises en place pendant la pandémie ont été bénéfiques mais doivent être bonifiées. Il faudra également essayer de développer au sein de chacun des établissements scolaires, une équipe-école forte qui pourra réellement assurer un meilleur accompagnement des élèves vivant des difficultés tant sur le plan pédagogique que psychologique.
D’autre part, l’utilisation des technologies amène des possibilités énormes en matière d’éducation. En parallèle, en plus de ne pas encore pouvoir mesurer leurs réels impacts sur la réussite, leur utilisation soulève aussi plusieurs interrogations : exposition aux écrans, cyberdépendance, effets sur l’estime de soi, etc. Il est nécessaire de documenter ces effets afin de contrôler davantage les impacts négatifs de l’utilisation des technologies.
En ce sens, des réflexions de fond sont nécessaires de manière à mettre en place les solutions pérennes qui auront le plus d’impacts sur la réussite éducative. Le ministère doit s’adjoindre tous les acteurs de l’éducation pour entreprendre un réel chantier sur la réussite éducative. Les organisations syndicales doivent être mise à profit puisqu’elles représentent les personnes qui œuvrent en première ligne en éducation pour le bénéfice de tous les élèves du Québec.