20 février 2020

Au cours des dernières semaines, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a été sur la sellette plus souvent qu’à son tour avec son controversé projet de loi sur la réforme de la gouvernance scolaire.
Malgré l’opposition généralisée chez les premiers concernés, c’est-à-dire le personnel de l’éducation, le ministre, lui-même un enseignant, a pourtant choisi de ne pas entendre les critiques et les craintes de ses anciens collègues et d’imposer, sous le bâillon, sa réforme. Espérons qu’il n’en prendra pas l’habitude.
Une consultation qui débute avec la conclusion connue à l’avance
En effet, une autre initiative du ministre suscite elle aussi beaucoup d’interrogations, à savoir sa révision en profondeur du programme Éthique et culture religieuse (ECR), menacé même de disparaître. Bien sûr, une consultation en ligne a été lancée et les citoyennes et les citoyens ont jusqu’au 21 février pour exprimer leur point de vue. Cet appel pour connaître l’opinion du grand public devrait-il nous rassurer quant à l’ouverture d’esprit du ministre? Rien n’est moins certain.
Au moment même où il rendait publique sa consultation, il s’empressait de dire qu’à son avis, le cours actuel doit être remplacé par un nouveau cours au contenu complètement différent. Difficile de prendre au sérieux un ministre qui dit vouloir consulter et qui annonce du même coup la conclusion à prévoir de cette consultation!
Avant même de mener une consultation tous azimuts, il nous semble que le ministre aurait été bien avisé de donner tout d’abord la parole aux enseignantes et aux enseignants qui donnent ce cours aux élèves. Cela lui aurait permis d’aller au-delà de nombreux préjugés souvent exprimés à l’égard de ce programme, qui ne reflètent pas toujours la réalité. Loin de là.
Le risque de dérapage
Un gouvernement doit bien sûr tenir compte de l’opinion publique, mais il ne peut faire fi de l’avis des spécialistes pour prendre ses décisions, au risque de nous entraîner tous dans de graves dérapages. Nous l’avons bien vu, l’automne dernier, avec le ministre Simon Jolin-Barrette et le Programme de l’expérience québécoise (PEQ).
Sous prétexte de vouloir représenter la volonté du vrai peuple, il ne faudrait pas que les ministres de ce gouvernement ne prêtent désormais l’oreille qu’aux nombreux « gérants d’estrade », qui ont une opinion sur tout, et refusent d’entendre les spécialistes dont les critiques reposent sur leur expérience et des faits solides.
C’est dans cet esprit que nous invitons Jean-François Roberge à y penser à deux fois avant d’abolir le cours ECR pour le remplacer par un projet de programme fourre-tout dont les objectifs ne sont surtout pas clairs. Le programme peut-il être amélioré? Sans nul doute. Mais il ne doit pas se presser pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Cet empressement à modifier le régime pédagogique des enseignantes et des enseignants, sans même que nous ayons reçu le matériel, les outils et la formation du nouveau cours, nous apparaît d’ailleurs problématique.
Le danger de nourrir l’intolérance
Quoi que l’on pense de la religion, il n’en demeure pas moins que le fait religieux fait partie de notre société. Ce n’est pas en le niant que nous le ferons disparaître. Plus inquiétant encore, le refus d’éduquer nos jeunes sur l’existence de la religion comme phénomène social risque d’amplifier la peur et l’intolérance à l’égard de celles et ceux qui s’identifient à travers leur religion. Est-ce vraiment ce type de société que nous voulons?
Le ministre Jean-François Roberge prétend vouloir remplacer le cours ECR par l’éducation à la citoyenneté. Pour notre part, il nous semble qu’on ne peut former des citoyennes et des citoyens à part entière en les tenant dans l’ignorance de tout ce qui entoure le fait religieux : les différentes pratiques et croyances aussi bien que les incroyances. Il n’y a pas de vivre ensemble possible sans la connaissance de l’autre, sans compréhension totale du monde dans lequel on vit.
Monsieur le ministre, pouvez-vous prendre le temps d’écouter les experts de l’éducation cette fois-ci?
Par Stéphane Lapointe, président
Fédération du personnel de l’enseignement privé (FPEP-CSQ)