Ma vie professionnelle et personnelle est de plus en plus lourde à supporter (suite)
17 mars 2021
Travailler plus pour moins de résultats
Enseigner, c’est une manière d’être et ça repose sur les relations humaines. Quand on communique par l’entremise d’écrans d’ordinateur, il y a une proximité et une capacité de transmettre des émotions qui disparaît. Il faut mettre de côté les techniques d’enseignement qui ont fait leurs preuves pour en improviser d’autres malheureusement moins bonnes. C’est vraiment décourageant. Je travaille deux fois plus pour deux fois moins de résultats.
Les cours en Zoom sont épuisants pour les élèves et les enseignants. L’impossibilité de pouvoir se lever, sortir de la classe, faire un peu d’exercice devient insupportable. L’obligation de devoir maîtriser rapidement une nouvelle technologie ajoute au stress que vit l’enseignante. Avec la plateforme que nous utilisons, si je ne suis pas la première entrée dans la salle de classe virtuelle, les élèves peuvent prendre les rênes de la séance : fermer mon micro, m’exclure de la rencontre, activer les conversations.
La connexion Internet est souvent instable. Les délais pour entendre les propos d’une personne font que souvent nos paroles s’entrecoupent. J’ai l’impression de remonter le temps alors que les discussions téléphoniques étaient décalées lors d’interurbains. Ça me rappelle ma grand-mère et comment les discussions n’étaient pas tout à fait spontanées!
Des impacts réels sur les élèves
La pandémie a également de graves conséquences sur l’enseignement qui se déroule en classe. Le simple fait de porter un masque m’oblige à parler plus fort pour que tous m’entendent et à être plus attentive pour entendre les élèves lorsqu’ils répondent. Cela exige deux fois plus d’énergie pour donner mon cours et je suis littéralement épuisée à la fin de la journée. Je dois laisser les copies en quarantaine, j’évite de circuler entre les pupitres, ce qui me permettait de veiller au grain, je ne peux plus utiliser les murs pour afficher mes cartes ou autres ressources visuelles, j’oublie le partage d’atlas et les projets spéciaux d’exploration dans ma ville que les élèves aimaient tant. Avant, mes projets spéciaux m’aidaient à motiver mes élèves. Maintenant, tout repose sur ma personne. J’évitais les écrans en leur disant qu’avec moi, on fait ce qu’on ne fait pas ailleurs. Ils me suivaient et y découvraient du plaisir, de la fierté même d’avoir exploré de nouvelles avenues. La pandémie me fait perdre ma couleur d’enseignante. Je me trouve fade ces temps-ci.
Je suis également très inquiète pour les élèves à qui l’on impose d’importantes contraintes. Ils se retrouvent isolés à l’école, obligés de circuler dans des zones bien définies, séparés de leurs amis. On leur a enlevé le plus beau côté de l’école, c’est-à-dire l’endroit où l’on y retrouve ses amis. Quelles conséquences cela aura-t-il sur des adolescentes et adolescents qui sont à un âge charnière du développement de leur personnalité ? On les force à sacrifier le plus beau côté de l’école.
Pas surprenant que les jeunes soient stressés. Plusieurs craignent la fermeture de l’école parce que cela signifierait le confinement et la coupure avec les jeunes de leur âge. Les règles en classe ont également été adoucies pour permettre l’ordinateur et le cellulaire. Malheureusement, ce sont des distractions supplémentaires qui ne contribuent pas à une meilleure concentration des élèves. Pendant les pauses, plusieurs s’isolent pour voir ce que leurs amis ont écrit plutôt que de socialiser avec leurs camarades. Le cellulaire est un traître refuge.
Une vie bousculée sur tous les plans
La charge de travail des enseignantes et enseignants était déjà lourde, mais ça s’est compliqué depuis la pandémie. Il faut veiller aux élèves qui s’absentent plus fréquemment et plus longuement. La plateforme numérique permet de déposer des travaux et d’assurer un fil conducteur entre les différentes leçons. Mais encore faut-il y voir! Cette plateforme est nouvelle, de nouvelles fonctions s’ajoutent régulièrement et tout est à bâtir. Mes fichiers usuels s’y déforment et je dois user de stratégies pour refaire le moins de documents possible. Cette nouvelle tâche représente 25 % de plus de temps de travail par semaine. Mes collègues et moi avons calculé 10 à 15 heures de plus par semaine pour assurer le suivi de cette plateforme numérique. Personnellement, mes journées de travail se combinent à la vie familiale. Dès 6 heures, j’organise la maisonnée et, très fréquemment, je bosse, après les heures de travail, jusqu’à 22 heures. Malgré tout, il me semble toujours que je n’ai pas assez de temps pour aller au bout de mes tâches. Ma semaine de travail déborde d’ailleurs sur mes fins de semaine, moment que je prends notamment pour corriger les travaux des élèves.
À travers tout cela, c’est ma propre vie personnelle qui en souffre. Je n’ai plus de temps pour m’occuper de moi-même et aider mes propres enfants qui ont leurs propres défis à relever à l’école. C’est extrêmement culpabilisant pour une mère monoparentale.
En dépit de tous mes efforts pour demeurer en contrôle, ma vie est bousculée de toutes parts, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. J’en suis rendue à douter de mes compétences, à me remettre en question. Ce sont des sentiments douloureux avec lesquels il est très difficile de vivre. À cause de la pandémie, je ne peux même pas me tourner vers des amis pour avoir du soutien.
J’ai donc fait appel à un psychothérapeute pour partager ce que je vis parce que c’était devenu trop difficile à endurer seule. J’ai hâte au jour où la normalité va revenir, mais en même temps cela me fait peur. Je crains qu’alors toute cette tension que j’endure depuis des mois ressurgisse comme une seule vague pour emporter avec elle un bout de ma santé, de mon dynamisme, de mon optimisme, voire de ma motivation à être enseignante dans nos écoles.