Quand l’école nous fait souffrir!
17 mars 2021
J’enseigne depuis plusieurs années déjà et j’ai toujours adoré mon emploi. Je suis de ces personnes qui trouvent toujours les vacances d’été trop longues et qui ont hâte de retrouver leurs élèves.
Pourtant, je suis aujourd’hui en arrêt de travail et j’appréhende mon retour à l’école. Pour la première fois de ma vie professionnelle, j’ai peur de ne plus aimer ma profession. Comment se fait-il que j’en sois rendue là? La faute revient à une crise sanitaire qui a complètement transformé mon milieu de travail. Je vous raconte.
Un printemps d’adaptations difficiles
Tout a débuté au printemps, avec l’éclosion de la pandémie. Mes collègues et moi avons dû nous adapter à l’enseignement à distance en l’espace de 24 heures. La direction de l’école ne nous a pas donné le choix : pour demeurer concurrentielle dans le marché de l’enseignement privé, notre école devait être en mesure d’offrir aux parents et aux élèves les mêmes services que tout autre établissement. C’est ainsi que, malgré la pression, nous sommes passés en mode virtuel en une journée seulement.
Nous avons exercé l’enseignement à distance jusqu’à la fin de l’année scolaire. Ce qui a eu pour conséquence une augmentation significative de ma charge de travail. L’enseignement occupait la moitié de mon temps et l’autre moitié était consacrée à la préparation des devoirs, des travaux, des questionnaires et de liens vidéo pour les élèves. De plus, je profitais des fins de semaine pour écrire aux élèves et aux parents et pour corriger les travaux. Ce fut donc un printemps fort occupé, suivi de vacances estivales bien méritées.
Le défi de l’enseignement hybride
Après une aussi longue séparation des élèves, j’étais très contente de les retrouver à la rentrée, en septembre. En fait, c’était le cas pour un certain nombre d’entre eux seulement puisque plusieurs avaient obtenu une dérogation médicale. Dans leur cas, l’enseignement à distance se poursuivait. Pour moi, cela signifiait l’obligation de me familiariser avec une nouvelle pratique, celle de l’enseignement hybride.
J’étais en communication directe avec un groupe d’élèves présents dans la classe et en communication à distance avec d’autres élèves se trouvant derrière leur écran d’ordinateur. Mon propre ordinateur était branché sur celui de l’école ainsi que sur un tableau blanc intelligent.
Ce n’est vraiment pas évident d’enseigner dans un tel contexte. On a toujours peur d’oublier quelque chose ou que survienne un problème technique. Ce qui ne manque pas d’arriver et j’ai dû faire appel à un technicien à plusieurs reprises. Le défi de l’enseignement hybride, c’est de réussir à gérer deux groupes tout en essayant de leur transmettre la matière. C’est très exigeant, car pendant que tu t’adresses à un groupe, les élèves de l’autre groupe en profitent pour se parler entre eux. L’interaction devient presque impossible.
La tristesse d’une classe vide
Au fil des jours, les cas d’infection à la COVID-19 se multipliant, je me suis retrouvée à enseigner devant une classe vide alors que tous les élèves se trouvaient à la maison, derrière leur ordinateur.
Comme enseignante, c’est la situation la plus triste que j’aie connue. Parler devant une classe vide, c’est lugubre et morbide. Malgré les visages à l’écran, tu te sens seule et tu as l’impression de te parler à toi-même. Il n’y a plus d’élèves dans la classe pour te nourrir de leur énergie. Il n’y a plus que des murs qui te renvoient ton écho. Les élèves participent peu et perdent une grande part de leur spontanéité. Sans compter qu’il y en a toujours un à qui il faut rappeler d’ouvrir sa caméra, de fermer son micro.
Finalement, l’école est revenue en mode de confinement. J’ai donc continué à enseigner à distance à partir de la maison. Je passais au moins une cinquantaine d’heures par semaine devant mon écran, soit pour enseigner, soit pour préparer des travaux ou bien pour faire des corrections. C’était pénible et chaque journée se terminait presque toujours de la même façon : avec un affreux mal de tête, les yeux fatigués et de l’insomnie.
Une direction incompréhensive
La plupart de mes collègues se trouvaient dans le même état. Nous avons donc demandé à la direction de réduire la durée des cours, mais nous avons essuyé un refus. Ce fut « non » également à toutes nos demandes d’accommodement pour nous aider à passer à travers cette situation exceptionnelle. La position de la direction était claire : il faut tout faire pour plaire aux parents. Ce qui n’était pas dit, mais qu’il fallait savoir lire entre les lignes : « …car les parents représentent une source de revenus alors que le personnel enseignant représente une dépense qu’il faut contrôler. »
Toute tentative auprès de la direction pour revoir notre fonctionnement, en tenant compte de la charge de travail supplémentaire générée par la situation actuelle, a été vaine. Nous avions beau plaider le fait que passer autant d’heures devant un écran devient contre-productif pour les enseignants comme pour les élèves, ça ne changeait rien. Je trouve d’ailleurs paradoxal qu’après avoir enseigné aux jeunes pendant des années qu’ils devaient passer le moins de temps possible à l’écran, on fasse maintenant tout le contraire, sans plus tenir compte des impacts sur leur santé.
Je dois ajouter qu’il n’y a pas que la direction d’école qui manque d’ouverture. Le ministère de l’Éducation n’est guère mieux, alors qu’il n’a pas cru bon d’alléger les matières inscrites au programme en vue des examens de fin d’année. Bien sûr, il a publié une liste de savoirs essentiels, mais si vous prenez le temps de la comparer avec certains programmes d’étude, vous comprendrez qu’il s’agit d’un simple copier-coller des grands titres du programme. C’est donc une pression supplémentaire qu’on fait peser sur les épaules du personnel enseignant, de même que sur celles des élèves.
Des moments de plaisir disparus
Depuis le printemps, l’école que nous connaissions et que nous aimions n’existe plus. Fini, l’ambiance énergisante de la classe! Fini, les activités parascolaires! Fini, les éclats de rire avec les amis! Fini, les moments de complicité avec les collègues! L’école se résume maintenant à passer la journée entière dans une pièce, seule derrière un écran d’ordinateur. Comment peut-on ne pas déprimer? Comment peut-on ne pas être affecté?
Autour de moi, il n’y a que des collègues sur le point de tomber au combat et des élèves en « épuisement scolaire », les uns comme les autres me confiant leur désespoir. C’est difficile d’écouter les souffrances de ceux qu’on aime sans être en mesure de trouver des solutions. C’est à ce moment précis que je me suis retrouvée moi-même en congé maladie, lorsque j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de solution. J’essayais de tenir le coup en me comparant au personnel de la santé dont la situation est encore pire, mais cette mince consolation n’a pas suffi pour me garder au travail.
Une grande question en suspens
L’épuisement professionnel et une période plus difficile sur le plan personnel ont fini par avoir le dessus sur ma volonté. Je suis en arrêt de travail depuis quelques semaines et je ne sais pas encore quand je serai en mesure de reprendre le boulot. Est-ce que je retrouverai un jour tout le plaisir et le bonheur que l’enseignement me procurait? Oui, j’en suis certaine. De cette certitude dépend ma guérison, je n’ai donc pas le choix d’y croire.